Les cerfs-volants SACONNEY   

Appareil Saconney: 

Cependant, le capitaine Saconney poursuivait ses recherches dans cette branche de l'aéronautique dont il avait fait, en 1907, une étude théorique très complète. (Étude parue en 1909 dans la Revue du Génie).

 Il vient de trouver une solution pratique et élégante au problème qui lui a été fixé par le service de l'artillerie: organiser un appareil capable de remplacer le ballon captif quand celui-ci ne peut plus être employé par suite de la violence du vent. 

On sait que l'observation aérienne est indispensable au tir de siège et encore plus au tir de place. En attendant l'époque où nos places-fortes pourront être dotées de dirigeables ou d'aéroplanes pour l'observation du tir, force est de se contenter du vieux ballon captif. Certes, celui-ci présente bien des inconvénients, sans compter qu'il offre une cible qui deviendra de plus en plus vulnérable avec les perfectionnements de l'artillerie. De plus, par un vent un peu fort, il exige des observateurs à l'âme et...à l'estomac fortement trempés; l'observation en ballon captif (type de siège), très incommode déjà par un vent de 10m, devient très pénible par un vent de 12m et impossible au-delà. 

Le vent fort restera d'ailleurs, encore longtemps, l'ennemi de l'aéroplane et du dirigeable. Au contraire, c'est l'allié du cerf-volant. L'appareil Saconney, en particulier, fonctionne par un vent compris entre 8m et 20m, et cela dans des conditions de sécurité presque absolues. Il est donc actuellement le complément nécessaire et suffisant du ballon captif et c'est un auxiliaire d'autant plus appréciable qu'il est de construction simple, facile, peu coûteuse et toujours réalisable. On n'en saurait dire autant des autres engins aériens, surtout dans une place assiégée.

 1° Principe de l’appareil :

    Le principe de l'appareil Saconney est le suivant :

 A l'aide d'un premier train de cerfs-volants, on tend un câble métallique dans l'espace. Sur ce rail aérien, on fait glisser une sorte de trolley portant une nacelle et qui est remorqué par un deuxième train de cerfs-volants. On dévide ou on enroule les câbles correspondants à l'aide d'un double treuil actionné par le moteur d'une automobile, cette automobile servant à transporter tout le système une fois démonté.

 Cet enroulement mécanique a une grande importance. Il permet, non seulement de ramener rapidement la nacelle en cas d'avarie, mais aussi de produire, par la vitesse même d'adduction du câble, un vent relatif suffisant pour arrêter la chute, ou, tout au moins, la rendre inoffensive. Ce résultat n'aurait pu être atteint avec le treuil du ballon captif. 

La section automobile Saconney se compose essentiellement : 

1°) D'un double train de cerfs-volants.

 2°) D'un double câble.

3°) D'une nacelle avec son support. 

4°) D'un treuil mécanique.

 5°) D'un train automobile.

 

                  a) Train de cerfs-volants.

 Le cerf-volant utilisé est du type Hargrave avec ailerons. Il a 3m de hauteur environ. Densité 1kg,1. Le train principal se compose d'un nombre de cerfs-volants gradué suivant la vitesse du vent.On accroche à l'extrémité du câble un premier cerf-volant dit cerf-volant pilote et on le laisse filer. Puis on place "en postillon", c'est à dire liés sous le câble, les autres cerfs-volants du train principal, et on les laisse filer à leur tour. Sur le câble, sont placées, à distances fixes, des olives métalliques de grosseur croissantes à mesure qu'on s’éloigne ; aux brides des cerfs-volants sont fixés des anneaux brisés de diamètre croissant également, lesquels viennent buter contre leurs olives respectives, sans "accrocher" les autres, grâce à leur tracé spécial, prennent ainsi, automatiquement leur place. Les distances sont calculées de façon que les cerfs-volants ne se gênent pas mutuellement et puissent évoluer en l'air sous les coups de vent sans s'entrechoquer. Le deuxième train de cerfs-volants ou train remorqueur, agencé comme le premier, file le long du câble en remorquant la nacelle jusqu'à la hauteur voulue. Le calcul du nombre de cerfs-volants a une grande importance. Tout cerf-volant, en effet, suffisamment solide, peut permette une ascension. C'est le gréement en train qui constitue la valeur du système. Dans le problème de la sustentation, l'inventeur s'est donné comme constante la traction du câble, traction qui correspond à un effort de soulèvement de 300 kg, nécessaire et suffisant pour supporter la nacelle, l'observateur et le câble (dévidé toujours de la même longueur, donc pesant toujours le même poids). Il reste donc comme variable indépendante la vitesse du vent et comme variable dépendante, le nombre de cerfs-volants. Pour fixer ce nombre, on a recours à une règle dite règle du 10. Voici en quoi elle consiste : 10 cerfs-volants, c'est à dire 100 m2 de surface portante par vent de 10 m produisent l'effort normal de soulèvement, soit 300 kg. Toute modification à ces données agit par son carré. Exemples : Par un vent de 5M, l'effort est de (5/10)2=1/4 c'est à dire 75 kg. Pour produire l'effort de 300 kg, il faudrait quarante cerfs-volants ce qui est impraticable. Par un vent de 20 m, l'effort est de (20/10)2= 4 fois plus grand soit 1.200 kg. Pour ramener à 300 kg, il suffit de 3 cerfs-volants. Par un vent de 8 m, il faudrait 16 cerfs-volants, soit deux trains de 8 cerfs-volants, maximum pratiquement réalisable. Il y a lieu de remarquer que si on employait le même nombre de cerfs-volants pour 8m et pour 24 m de vent, on imposerait au matériel un effort de résistance de 1 à 9. 

                    b) Câbles Il y a deux câbles :

                  -  1° Le câble principal, qui constitue le rail aérien, est un câble métallique de 5mm de diamètre et 2.000 kg de résistance. Longueur 1.500 m. • 2° Le câble de nacelle est mixte Il a un diamètre de 5mm au-dessus de la nacelle, avec résistance de 2.000 kg, et un diamètre de 3,5 mm au-dessous, avec résistance de 1.000 kg . Le poids de la nacelle a pour effet de diminuer la tension du câble. On a profité de cette diminution de tension pour placer, au-dessous de la nacelle, un câble plus léger, d'où une économie de poids considérable. La traction nécessaire pour élever l'observateur étant environ de 400 kg, on a au-dessus de la nacelle, une résistance de 4.000 kg (avec un coefficient de sécurité =10) et, au-dessous, une résistance de 3.000 kg. La longueur du câble de nacelle est de 1.300 m. 

               

 2° - Nacelle et son support.

 La nacelle se compose d'un panier en osier de 1m de haut où l'observateur peut s'asseoir sur une sangle tendue. Elle est réunie au câble par un support spécial, muni d'un frein automatique qui empêche la nacelle de revenir en arrière au cas où le train remorqueur viendrait à faiblir. L'observateur peut actionner ce frein à l'aide d'une corde de manœuvre, s'il veut s'arrêter en un point donné. 

 

3° - Treuil. 

Les câbles sont enroulés autour d'un double treuil à toueurs, placé à l'arrière d'une automobile et actionné par le moteur. La voiture étant arrêtée, un simple levier produit l'enclenchement nécessaire. La vitesse d'enroulement est de 180 m à la minute. Il faut dons environ 1 minute et demie pour ramener la nacelle. 

 

4° - Train automobile. 

Le train automobile se compose d’une automobile de 24 chevaux Delahaye, remorquant un fourgon attelé sur cheville ouvrière. Le mode d'attelage est très souple, il permet à l'ensemble de prendre des virages très courts et d'escalader avec la plus grande facilité des routes en lacet à pentes raides, comme celle du Ballon d'Alsace par exemple. La vitesse moyenne du train est de 25 km à l'heure. La voiture automobile porte 9 passagers et pèse 1t,5. 

 

5° - Prix. 

Le prix de l'appareil volant est de 4.000 f environ, celui de la voiture 12.000 f. Total 16.000 f. Ce prix se rapportant à un appareil unique, spécialement construit, s'abaissera sensiblement pour des commandes plus importantes. Il y a lieu de remarquer que le train, lorsqu'il n'est pas utilisé pour les cerfs-volants, peut être employé dans une place, comme fourgon automobile pour des transports ordinaires et que la voiture treuil, employée seule, peut servir pour les reconnaissances. 

 

6° - Personnel.

 La section automobile comprend 16 hommes répartis en quatre équipes : Première équipe : 4 mécaniciens, Deuxième équipe : 4 arrimeurs, chargés du montage du "pilote", de la nacelle, etc. Troisième équipe : 4 monteurs chargés du montage des cerfs-volants de rang pair; Quatrième équipe : 4 monteurs chargés du montage des cerfs-volants de rang impair. 

7° - Le lancement.

 Le lancement peut se faire, soit par postillons successifs, soit simultanément. Dans le premier cas, on attache et lance le pilote jusqu'à ce qu'il plane à une centaine de mètres, puis les troisième et quatrième équipe attachent les autres cerfs-volants du train principal et les laissent filer à leurs places respectives, fixées par les olives (à 6m environ les unes des autres). On dévide alors le treuil jusqu'à ce que l'ensemble atteigne les hautes altitudes vers 1.200 m environ. Par vent fort, on peut également laisser immédiatement filer le pilote jusqu'à 1.200m, puis successivement les autres cerfs-volants. Dans le deuxième cas, on prépare tout le dispositif à terre, les cerfs-volants d'attelage couchés sur le sol dans la position du vol et fixés au câble, le cerf-volant pilote maintenu debout. Au commandement, le pilote est lâché et enlève tout l'ensemble. Dans le premier cas, il suffit d'un terrain de 30 m de longueur, dans le second cas, il faut un terrain de 300 m de longueur. La durée complète du lancement, y compris le montage des cerfs-volants et des appareils, est de vingt minutes environ avec une équipe tant soit peu exercée. L'opération est facile. Toutefois, au moment du lancer simultané, il faut éviter de se laisser saisir par le câble qui balaie puis quitte le sol avec une grande violence. Il est donc nécessaire de ne jamais se placer sous le vent du câble. 

 

8° - Sécurité.

 L'observation en cerf-volant est très commode et ne présente aucun danger pour peu qu'au treuil se tienne un chef de manœuvre attentif, prêt à ramener la nacelle dès qu'une baisse de vent critique est à craindre. La bourrasque, elle-même, ne met nullement l'observateur en péril. Elle vient frapper, en effet, successivement les cerfs-volants étagés qui pivotent alors à tour de rôle autour de leur point d'attache sans se choquer. Si même l'un d'eux vient à se briser, la force sustentatrice des autres est suffisante pour supporter tout l'ensemble, d'autant plus facilement que le vent est plus fort. D'autre part, le câble n'est guère influencé par les changements de position des cerfs-volants dans les coups de vent. Il reste toujours tendu dans la même direction, celle du vent dominant. Il en résulte que la nacelle a aussi une grande fixité. Cette quasi immobilité est très précieux pour l'observateur et contraste singulièrement avec les violents mouvements de roulis auxquels sont souvent exposées les nacelles de ballon captif. L'observateur s'y trouve tellement à son aise qu'il peut prendre posément des vues photographiques. Enfin, remarquons que cette sécurité de l'observateur persiste, non seulement sous les rafales du vent, mais aussi sous celles du tir. Car la durée du séjour en l'air peut être très brève. Le rail étant tendu, l'observateur, au moment voulu, est hissé en un clin d'œil à son poste, regarde et descend immédiatement avant que le tir ennemi ait pu le repérer. L'altitude de 300 m est d'ailleurs un maximum. La nacelle peut être élevée à une hauteur quelconque, beaucoup moindre. Quand elle ne s'élève qu'à une cinquantaine de mètres, on peut la maintenir également par deux cordages tendus de part et d'autre du câble, ce qui assure une immobilité complète. La sécurité est telle que le capitaine Saconney a pu faire exécuter de nombreuses ascensions tant à des officiers généraux qu'à des membres de sa famille. Depuis trois ans qu'il opère avec ses trains de cerfs-volants, il n'a eu à enregistrer aucun accident. 

 

Conclusions : 

Ces expériences méritent donc d'être poursuivies et encouragées. Il est à souhaiter que le capitaine Saconney trouve dans l'artillerie non seulement de nombreux élèves mais aussi des imitateurs. Il y a là une voie nouvelle, assez intéressante pour tenter les jeunes officiers des régiments d'artillerie à pied. Leurs goûts sportifs y trouveront un dérivatif attrayant et utile à la vie grave et terre à terre des places fortes. Mais il est bon qu'ils soient prévenus qu'au nombre des qualités dont ils doivent s'armer, il en est une indispensable : la patience. Le vent est un élément terriblement capricieux et les accalmies imposent souvent des périodes d'inaction bien pénibles à l'ardeur des chercheurs. Il faut prévoir aussi que la manœuvre du cerf-volant demande une attention soutenue pour ne pas être dangereuse. Le vent a des chutes brusques et fréquentes auxquelles il faut se tenir prêt à parer. Dans la région de Paris, par exemple, il n'est pas rare de voir la vitesse du vent tomber d'une dizaine de mètres en un quart d'heure. Le commandant Dollfuss, pendant tout le courant d'une année (1905), a relevé les vitesses du vent enregistrées à la Tour Eiffel à 300m. Ne retenant que les journées où les vitesses, comprises entre 8M et 16m seulement, auraient été assez soutenues pour permettre des ascensions pendant une heure au moins, il en a conclu que le cerf-volant aurait pu rendre des services, dans la région parisienne, pendant 220 jours pour l'année. Sur notre frontière de l'Est, ce chiffre aurait été certainement dépassé, étant donné que l'atmosphère y est généralement plus venteuse que sur la capitale. D'ailleurs, l'emploi du cerf-volant, comme organe complémentaire du ballon captif, n'est pas le seul problème qui mérite d'intéresser l'armée de terre. D'autres cas peuvent être envisagés. Peut-être même pourra-t-on arriver à utiliser le mouvement de l'automobile, comme on a utilisé celui du bateau, pour effectuer des ascensions beaucoup plus fréquentes. Le champ des recherches est encore vaste et a de quoi tenter nombre d'inventeurs. Souhaitons enfin que, de la manne dorée qui tombe avec tant d'abondance sur l'aviation, on puisse distraire quelques parcelles pour encourager les expériences relatives à l'ascension en cerf-volant.